Perec ou Céline

L'actualité littéraire évoque ces deux écrivains . 

J'ai lu Pérec mais je n'ai pas lu Céline.

"Lieux "de georges Pérec est en accès libre sur internet grâce au Seuil. Pérec , c'est l'écrivain de l'observation des choses les plus banales de la vie quotidienne. j'ai lu "les choses" , un roman où les actes du quotidien sont disséqués avec la plus grande attention. Nos vies sont faites de hasard , de petites choses insignifiantes, d'échecs et il est souvent difficile de tirer des enseignements de ces petits évènements. Pérec écrit: "ce qui se passe chaque jour,le banal, le quotidien,l'évident,le commun,l'ordinaire, l'infra ordinaire,le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger,comment le décrire ?"

jules Vernes disait "regarde de tous tes yeux , regarde!" Pérec reprend cette phrase à son compte. Il faut retrouver l'étonnement du petit enfant devant les choses de la vie.Toute vie a un sens. Aucune vie n'est petite.Nous sommes tous glorieux. Les lieux nous racontent et nous transportent.L'écrivain met des mots sur des émotions et des objets. Sur des sentiments aussi. Il poétise la vie. Et entre en communication avec l'universel. Il fait un travail sur lui même et permet à cet introspection d'être communicative.C'est la raison d'être de l'écrivain et de l'écriture. Mais Pérec a poussé très loin le travail de l'écriture.Il en a fait un travail rigoureux , scientifique. Il n'hésitait pas  à utiliser des stratagèmes mathématiques. Il travaille également sur la mémoire à l'image de Modiano. Une mémoire de la géographie. Il choisit douze lieux. Et se donne pour objectif de les visiter deux fois par an pendant douze ans. Il n'achèvera pas son projet mais son intention est un exemple de persévérance littéraire.

Le monde des livres daté du 6mai , après nous avoir fait redécouvrir cet écrivain de l'émerveillement à l'occasion de son actualité littéraire, reprend pour terminer un poème en prose "A quoi bon" qui résume toute son oeuvre.

"Toute mon intelligence / Toute ma sensibilité/Toute ma bonté/ / Toute ma détermination/Toute ma force toute ma faiblesse/ Toute ma vie/ Toute la sérénité que les jours ont pu fortifier,que les heures ont pu sanctifier/ Ne suffiront jamais à me rendre heureux"

Céline

Et puis, dans l'actualité littéraire,  il y a Céline. Céline du "voyage au bout de la nuit". Céline ensensé, au panthéon de la littérature et de la société. Cette même société  qui nous obligeait récemment à voter Macron pour faire barrage au rassemblement national et à leurs idées malsaines. Allez comprendre!

Deux poids ,deux mesures.D'un côté, le poids des conventions et du conformisme et de l'autre le poids des mots et du vocabulaire.

Je me souviens d'une conversation au cours du salon du livre  de Cabourg,en plein été,  avec frédéric Vitoux , biographe de Céline ( "la vie de céline "). Je lui confiais que je ne pouvais pas lire Céline. "Cet écrivain est antisémite et d'extrême droite. Il est ordurier" "Vous avez tort ,il faut le lire,ça vaut le coup"me répondit-il.

Autrement dit,rien ne vaut les mots au delà des considérations morales et politiques. Céline a eu tort politiquement (exil à Sigmaringen)mais raison d'un point de vue purement littéraire. Il y a donc une différence entre la politique et la littérature.

La politique est dominée par la morale à des fins tacticiennes. L'extrême droite est rejetée . C'est normal et sain pour la démocratie. Mais elle sert aussi d'épouvantail à tous les conformismes et à l'hypocrisie sociale.

Le rassemblement national ne se réclame pas de l'extrême droite. Mais ses origines, ses fréquentations l'y renvoient. C'est l'idiot utile que les progressistes utilisent pour simplifier le monde. Si vous n'êtes pas d'extrême droite ,vous êtes progressistes et donc votez pour moi . Aucune nuance possible. Le progressisme ou le chaos.Pas d'autre voie possible  pour sortir du libéralisme immobile et flexible en même temps. 

Sauf en littérature. Le progressiste nous permet de nous évader du quotidien avec la prose de Céline. Cet écrivain antisémite,injurieux,nauséabond. Tout va bien , nous ne sommes pas dans la vraie vie.   La littérature est une activité entre gens de bonne compagnie. Les progressistes et la société civilisée nous permettent un moment d'oubli des conventions en lisant . C'est aussi considérer  que la littérature compte peu. Elle amuse la galerie. C'est donc rabaisser la littérature au rang des divertissements autorisés.

Eh bien non ! Céline écrivait et exprimait des opinions. Son oeuvre est un tout. Il s'est engagé du mauvais côté de la barrière sociale. Et on ne lui en tient pas rigueur. C'est donc qu'il est inoffensif pour les intérêts

des puissants et des défenseurs de l'ordre moral et des conventions sociales.

La société française n'est pas avare de paradoxes. C'est parce que Céline et dans une moindre mesure Houellebecq ( pour Houellebecq grand écrivain on verra dans un siècle! ) révèle un mal français.La domination du paraître sur l'être. Il faut toujours sauvegarder les apparences. Ce sont les piliers de l'ordre établi. Je lirais Céline cependant en oubliant l'histoire et son histoire, en ravalant mon aversion pour sa vision du monde. Le besoin d'établir des limites autoritaires pour le bon fonctionnement de la société commerciale est le vice des progressistes.Un vice qui manque de cohérences.

Je vais lire "guerre". Parce que l'écrivain qui a écrit "guerre" a connu la guerre de 1914.Il a mis des mots sur l'indicible.Comme maurice Genevoix qui n'était pas antisémite.Céline avait un point commun avec Hitler .Il a été traumatisé par la guerre.Cette guerre qui nous poursuit et perturbe les élections françaises d'aujourd'hui.

Pour le meilleur et pour le pire. L'universel est à ce prix.

Le monde littéraire du 6mai 2022.