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Politique et réalités

Politique et réalités

Faits politiques, commentaires, analyses, portraits, dossiers, présentation de livres pour mieux appréhender le monde actuel.


Carte blanche

Publié par Philippe Soulier Champeval sur 31 Décembre 2013, 13:54pm

Catégories : #Entretiens & Débats

TRIBUNE - Le magistrat honoraire* Philippe Bilger s'étonne de la volonté soudaine du ministre de l'Intérieur d'interdire les spectacles de Dieudonné.

Pourquoi donc Dieudonné a-t-il été mis au centre du débat public par le ministre de l'Intérieur?

Parce que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme est devenue, pour un pouvoir qui bat de l'aile, une cause rentable.

Manuel Valls a décidé de faire étudier par ses services la possibilité d'interdire, en 2014, les réunions publiques de Dieudonné.

On ne voit pas pourquoi soudain la République s'est sentie tellement en danger que, toutes affaires cessantes et tous problèmes prioritaires et urgents laissés de côté, elle s'est consacrée à faire disparaître un personnage délirant et provocateur dans une sorte de combat personnel qui ridiculise les luttes légitimes et n'est pas assuré de l'emporter.

Quand le ministre de l'Intérieur soutient qu'il était temps de mettre fin à la complaisance et à l'impunité dont Dieudonné aurait bénéficié, à l'évidence il feint d'oublier qu'avant son intervention dangereuse, ce comique n'avait jamais été laissé tranquille et que notamment il avait fait l'objet de plusieurs procédures judiciaires. Il avait été condamné à trois reprises s'il avait été mis hors de cause pour d'autres.

Il est important de rappeler ces données qui démontrent qu'entre rien et Manuel Valls, il y avait tout simplement la justice pour s'occuper des attitudes et des discours choquants de Dieudonné. Cette manière de procéder serait celle d'une démocratie sûre d'elle qui n'éprouverait pas le besoin d'exacerber un climat en prétendant l'apaiser.

Dieudonné a proféré des propos qualifiés d'antisémites à l'encontre de deux journalistes Cohen et Haziza. Le Mrap a déposé plainte contre lui pour le premier. Si les infractions sont caractérisées, Dieudonné sera condamné et il n'était pas nécessaire, parce qu'il s'agissait de personnalités médiatiques, que Valls vînt en plus se porter à leur secours en justifiant notamment son projet d'interdiction à cause des attaques dont ils avaient été l'objet.

L'état de droit et les libertés, dont la gauche s'est toujours déclarée la seule incarnation et l'exclusive dépositaire, exigent pour leur sauvegarde, tension, scrupule, vigilance, examen au cas par cas, refus de toute approche préventive et grossière, rigueur et sévérité quand les délits imputés ont été sanctionnés.

Elles s'opposent à ce que par commodité, en se fondant précisément sur les éventuelles poursuites qui seront engagées, on édicte un arrêt total de manifestations. On n'a pas toujours connu le pouvoir de gauche aussi ferme dans le contrôle, aussi déterminé et aussi intransigeant. Il choisit à l'évidence ses ennemis et sait se montrer souple quand ses intérêts sont en jeu. Dieudonné, c'est porteur!

La volonté d'interdiction des réunions publiques, qui mobilise le ministre de l'Intérieur, n'est qu'une démarche de facilité et de confort qui présume administrativement ce que la justice aurait à établir quand elle est saisie.

Appréhender Dieudonné en détail, au fil de ses apparitions publiques, serait républicain mais trop difficile. Les succès judiciaires de Dieudonné sont de trop. Le problème avec la démocratie authentiquement vécue et la justice indépendante, c'est qu'elles ne garantissent rien à un État qui, piqué par une mouche médiocrement consensuelle, aspire à faire taire globalement et à étouffer totalement. Il y a, dans l'interdiction évoquée, comme un rêve: celui de se débarrasser d'un individu parce qu'on ne sait comment faire pour honorablement se mettre à distance de tout ce qu'il véhicule et colporte.

Alors il faut supprimer avant. Rien n'exprime mieux ce désir que l'irritation de Manuel Valls: «Dieudonné, ça suffit»! Pas ce qu'il pense et ce qu'il dit - un tri serait opportun - mais lui en bloc.

On se sert de tout. Notamment de ce geste la «quenelle», au sujet de laquelle les interprétations divergent, la dominante, pour les spécialistes, étant qu'il s'agit d'une posture antisystème, d'une révolte contre la société. À supposer que cette «quenelle» ait une tonalité antisémite, le ministre ferait bien de retenir la leçon du nouveau président du Crif qui, sur le plan juridique, doute que ce geste puisse être réprimé.

Jusqu'à quel niveau de ridicule tombe-t-on quand le ministre des Sports de la République française dénonce violemment la «quenelle» d'un footballeur français jouant en Angleterre et ayant marqué deux buts! Ce pouvoir donne l'impression que, plus c'est dérisoire et petit, plus il doit le prendre en charge. Rien de ce qui est inutile ne lui est étranger. De belles perspectives pour 2014 et les années suivantes!

Manuel Valls déclare que Dieudonné n'est plus un comique - est-il dans son rôle de ministre avec une telle appréciation? - et engage le pouvoir sur une voie extrêmement préjudiciable à la liberté, aux libertés et à la gauche si celle-ci avait encore le moindre souci d'une morale publique et d'une éthique qui ne soient pas seulement à usage socialiste.

Ce qui se passe est très préoccupant. Le ministre de l'Intérieur va évidemment trouver une écoute bienveillante et la démagogie va l'applaudir.

Mais, si les réunions publiques de Dieudonné sont interdites, si cela survient, la France aura une blessure au flanc. Un triste personnage peut être le vecteur de principes qui le dépassent.

Que la gauche ne nous donne plus de leçons, jamais, en matière de démocratie!

*Président de l'Institut de la parole.

(avec le Figaro)

Politique et Réalités

Un commentaire remarquable sur la justice et la démocratie.

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