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Politique et réalités

Politique et réalités

Faits politiques, commentaires, analyses, portraits, dossiers, présentation de livres pour mieux appréhender le monde actuel.


La fin du romantisme de gauche?

Publié par Philippe Soulier Champeval sur 9 Décembre 2012, 12:43pm

Catégories : #Entretiens & Débats

Jean-Marc Ayrault

 

Avez-vous vraiment envisagé de nationaliser Florange?
Le dossier de l'industrie sidérurgique est sur la table depuis de longs mois, y compris pendant la campagne présidentielle. Les hauts-fourneaux sont arrêtés depuis dix-huit mois. C'est une question sensible dans une région marquée par une histoire ouvrière très dure. Je comprends l'émotion, je comprends le scepticisme, les souffrances. Je suis issu d'une histoire familiale ouvrière. Mon père travaillait dans l'industrie textile. Je connais les fermetures, les angoisses. Mais je connais aussi la réussite. À Nantes, il y a eu la fermeture des chantiers navals et d'autres industries, mais il y a eu aussi des reconquêtes. Nous devons lancer la reconquête. Si je parle d'émotion et de scepticisme, c'est parce que l'histoire de la mine, de l'acier, de la sidérurgie s'est soldée par des dizaines de milliers d'emplois supprimés, y compris quand la sidérurgie était nationalisée.

Et c'était déjà sous la gauche….
Sous la droite et sous la gauche. Sur la nationalisation, reprenons l'histoire. Sous Giscard, en 1978, Sacilor annonce 22.000 suppressions d'emplois et l'État prend son contrôle. En 1982, François Mitterrand nationalise la sidérurgie. Et en 1984, le plan Mauroy, sévère, se fait sous le régime de la nationalisation. En 1995, quand Alain Juppé privatise Usinor-Sacilor, 75.000 emplois auront été supprimés en vingt ans dans la sidérurgie. En 2006, arrive Mittal. C'est dans ce contexte que nous avons repris le dossier de Florange. Mon devoir, c'est de faire mon travail de Premier ministre, de décider et d'agir. Il y a le temps de l'action et celui de la pédagogie.

«Le nouveau modèle français, ce n'est ni le repli national ni l'abandon de ce que nous sommes»Pourquoi avoir écarté la solution de la nationalisation temporaire?
ArcelorMittal, ce sont aujourd'hui 20.000 salariés en France et notamment les sites de Florange, Dunkerque, Fos-sur-Mer et Basse-Indre. Tous sont en activité et produisent de l'acier. À Florange, les hauts-fourneaux sont arrêtés depuis dix-huit mois, mais le laminage et l'emballage fonctionnent. Le gouvernement et notamment le ministre du Redressement productif ont demandé à ArcelorMittal de faire repartir les hauts-fourneaux. Le rapport Faure évalue l'investissement nécessaire au redémarrage entre 400 et 450 millions d'euros. ArcelorMittal laissait jusqu'au 30 novembre pour trouver un repreneur. Il n'y en avait pas pour les seuls hauts-fourneaux. Il y avait une déclaration d'intérêt d'un industriel, mais pour l'ensemble du site. Le gouvernement devait donc faire un choix. Arnaud Montebourg évoque alors la piste de la nationalisation. Mittal lui dit, et le confirme au président de la République, qu'il refuse de vendre la filière froide du site, toujours en activité. François Hollande me demande alors de négocier avec Mittal, avec trois objectifs : pas de plan social, des investissements et la relance du projet Ulcos. L'autre option, dire à M. Mittal “on achète aussi le froid, on vous exproprie”, c'est une nationalisation. Cela passe par une loi, c'est un processus long et semé d'obstacles juridiques. Il coûterait au moins un milliard d'euros. Mettre autant d'argent pour un résultat hypothétique en matière industrielle et en termes d'emplois n'est pas le choix que nous avons retenu. Je rappelle qu'il n'y aura pas de plan social à Florange.

Mais il y a des suppressions de postes….
Oui, mais aucun salarié ne sera licencié, il n'y aura aucune mutation subie. Et au moment où, dans d'autres endroits en France, des salariés sont licenciés, c'est très important d'avoir évité le plan social qui était prévu. Il y aura des départs à la retraite, des reclassements sur place. Mais les 2.800 salariés du site, dont les 630 salariés des hauts-fourneaux, ne seront pas licenciés. Nous avons également obtenu que Mittal investisse 180 millions d'euros uniquement sur le froid et l'emballage, pour renforcer le site.

Que s'est-il passé sur le projet Ulcos?
Le sujet est compliqué, la communication a sans doute été insuffisante. Les gens n'ont pas compris. Le premier projet Ulcos, appelons-le Ulcos 1, n'était pas réalisable en l'état, pour des raisons techniques. Le gouvernement a obtenu de Mittal qu'il s'engage dans Ulcos 2, c'est-à-dire qu'il poursuive le travail nécessaire pour lever les obstacles techniques actuels. C'est un projet industriel innovant de production d'acier par captation de CO² , qui s'inscrit dans une vision industrielle protectrice de l'environnement. C'est un engagement qui sera tenu. L'État stratège y mettra sa part, y compris financièrement. C'est un vrai projet d'avenir.

Peut-on faire confiance à Mittal?
Je ne veux pas poser cette question en ces termes. Mittal a pris des engagements précis. Je lui ai demandé de les renouveler publiquement samedi. Le groupe les précisera encore la semaine prochaine devant le comité central d'entreprise. Je suis garant de ces engagements. J'ai confié au sous-préfet Marzorati le comité de suivi des engagements. Il réunira les syndicats et les élus mosellans. Ces élus ont dit aujourd'hui qu'eux aussi seraient extrêmement vigilants pour que tout ce qui a été promis se réalise effectivement.

En 2008, Mittal avait fait des promesses à Sarkozy qu'il n'a pas tenues…
La différence est double : les engagements pris par Mittal cette fois sont inconditionnels, et le gouvernement associe les salariés et les élus à leur suivi.

Hollande avait promis, le 24 février 2012 à Florange, une loi pour empêcher la fermeture des sites rentables. Où en est-on?
Il est toujours sur la table. J'ai souhaité qu'il soit inclus dans la négociation sur la sécurisation de l'emploi qui est en cours. Mais si l'on veut être précis, même si cette loi avait été votée, elle n'aurait rien changé dans le cas de Florange. En revanche, sans la victoire de François Hollande, les 630 salariés des hauts-fourneaux seraient sur le carreau, Mittal n'aurait pas décidé d'investir 180 millions d'euros et le projet Ulcos 2 ne serait pas possible. Le gouvernement a agi.

Mais ni les syndicalistes sur place ni une grande partie de la gauche ne sont convaincus que vous avez sauvé Florange…
Je comprends qu'une partie de la gauche conteste, comme une partie de la gauche conteste le pacte pour la compétitivité, la croissance et l'emploi. Je veux le mettre en œuvre. Je ne me résigne pas à voir notre industrie s'affaisser. Nous avons fait le choix stratégique du redressement. Mon gouvernement ne mènera jamais une politique de simple colmatage.

«François Hollande n'a jamais promis qu'il sauverait toutes les usines» Depuis six mois, une partie de vos électeurs doute de votre politique, vous accusant de renier vos promesses. Quand Édouard Martin vous écoute annoncer votre plan pour Florange, il lâche : "Putain, traîtres!" Cette image est-elle le symbole du début du quinquennat?
Je ne veux polémiquer avec personne. Le symbole du quinquennat, c'est de sauver des emplois. Les ouvriers de la sidérurgie savent bien que la nationalisation, il y a trente ans, n'a pas empêché les destructions d'emplois. Le gouvernement ne faillira pas à ses engagements, je veux en convaincre les Français. "Gouverner, c'est choisir", disait Pierre Mendès France. Je ne suis pas là pour gérer les affaires courantes. J'agis sans semer des illusions. Sur Florange, j'assume parfaitement ce qui a été décidé. Je ne mens pas aux Français.

Est-ce un tournant, la fin d'un romantisme de gauche incarné par la nationalisation?
Je suis animé par un idéal, des valeurs. Je ne veux pas dire aux Français : "J'arrive, je nationalise et tout est réglé." L'idéal de mon engagement est le respect et la vérité. Sinon, la politique n'a pas de sens. Franchement, le chômage augmente depuis dix-huit mois, l'emploi est notre tâche principale. Je ne veux pas relever ce défi à travers des symboles. Je veux préparer le nouveau modèle français. Mon choix politique, ce n'est ni le repli national ni l'abandon de ce que nous sommes.

C'est votre gauche de gouvernement?
C'est une gauche social-démocrate et réformiste, une gauche qui réforme le pays, qui croit que la croissance et l'emploi ne se décrètent pas mais se construisent. Nous avons stabilisé la zone euro, nous avons engagé la remise en ordre de nos finances publiques, le pacte de compétitivité s'appliquera dès le 1 er janvier, et j'espère que les partenaires sociaux concluront heureusement la négociation sur le marché du travail.

Montebourg ne s'exprime plus, Aurélie Filippetti a boycotté votre réunion à Matignon, Delphine Batho dit qu'on ne peut faire confiance à Mittal. Pouvez-vous encore être le chef de ce gouvernement?
Les débats dans les gouvernements ont toujours existé et existent partout sans que cela mette en péril l'essentiel. J'ai reçu la Première ministre danoise, je me croyais dans la série télévisée Borgen quand elle me racontait les débats pour faire passer une loi ! Dans le cas de Florange, tout l'exécutif est mobilisé pour garantir ce qui a été fait. Arnaud Montebourg, Michel Sapin, Pierre Moscovici, Geneviève Fioraso et Delphine Batho y œuvrent.

Montebourg est-il démonétisé?
Arnaud Montebourg gère des dossiers très difficiles. Notre tâche est très lourde, jamais elle n'a été aussi lourde. Le reste ne compte pas.

Bruno Le Roux a parlé d'une "erreur de communication" à propos de votre intervention de vendredi dernier, la regrettez-vous?
Il faut toujours se dire qu'il y a le temps de l'action et celui de la pédagogie. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.

Avez-vous toujours une majorité pour approuver votre politique?
Oui. Je juge sur les faits. Je connais bien l'Assemblée, je n'imagine pas un groupe parlementaire béni-oui-oui. Il ne m'a jamais fait défaut. Il y a eu des interrogations sur le pacte de compétitivité, sur le crédit d'impôt. Les députés l'ont amendé, le texte a été voté par la majorité. Je n'imagine pas le rapport entre l'exécutif et le législatif sans dialogue. Il ne faut pas avoir peur du débat.

Concernant la raffinerie de Petroplus, les salariés et les élus vous demandent la prolongation du contrat de processing de Shell. Faute de quoi, la raffinerie fermera le 15 décembre. Que leur répondez-vous?
C'est ce que le gouvernement demande. Nous suivons cela au jour le jour, heure par heure, nous agissons pour que cela continue. Un délai a été donné pour que l'offre de reprise de NetOil soit finalisée. Cinq cents emplois sont en jeu. C'est un dossier sensible qui implique beaucoup d'élus, dont Laurent Fabius et Guillaume Bachelay.

Et c'est un endroit symbolique où Hollande était allé, promettant de ne pas agir comme Sarkozy…
François Hollande n'a jamais promis qu'il sauverait toutes les usines. Notre pays est dans un état grave, nous œuvrons pour le redressement. Et nous nous battons sur tous les dossiers.

 

Cécile Amar et Bruno Jeudy - Le Journal du Dimanche

 

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